Supernova, supernovae (n.f) : 1. Étoile massive ayant atteint un stade avancé de son évolution, qui explose et se manifeste temporairement par un éclat considérablement plus élevé.
2. Ce phénomène lui-même.
Parallaxe (n.f), du grec
parallaksis : angle sous lequel on verrait, de cet astre, une longueur conventionnellement choisie (rayon équatorial de la Terre, pour les astres du Système solaire ; demi-grand axe de l'orbite terrestre, pour les étoiles).
Il se répétait souvent cette myriade de mots dénué de contenu pour la plupart des mortels. Il n’échappait pas à la règle et était incapable de saisir le sens de ce charabia astronomique. Et pourtant, il se rappelait chaque définition avec une précision étonnante. Lorsqu’il lui arrivait d’avoir un trou de mémoire, il saisissait le dictionnaire, retrouvait le mot dont il était sûr de l’avoir déjà entendu prononcé, et relisait sa signification.
Une fois, deux fois, puis il rangeait le dictionnaire, se ressassant ce qu’il venait de lire comme un mantra.
*
Faire marcher seul une entreprise qui tenait à peine debout était plus difficile qu’il ne l’avait cru au premier abord. Ce qui avait été grandiose n’était plus qu’un géant aux pieds d’argiles, chancelant pathétiquement, menaçant de s’écrouler à tout moment. S’il venait à se vautrer, quel bordel ce serait ! Il écraserait tout sur son passage, sans aucune pitié, dans un vacarme assourdissant, soulevant un nuage de poussière écarlate qui en aveuglerait beaucoup.
Néanmoins, si Moran mettait tant d’énergie à veiller sur cet ouvrage ce n’était pas par crainte des conséquences qu’aurait sa chute, laquelle était de toute manière inévitable voire imminente.
Rien ne pourrait jamais le mouiller, rien. Il avait un parapluie des plus efficaces. Il n’avait donc rien à craindre.
Si il continuait, du mieux qu’il le pouvait, à colmater les fissures du Titanic, c’était par loyauté et respect à son architecte. C’était un geste tout à fait désintéressé, que d’aucuns auraient volontiers qualifié de noble, de beau ou même de romantique, en d’autres circonstances. Son compte en banque lui suffisait largement pour le moment, le besoin d’argent ne motivait donc pas ses efforts, et il ne tirait absolument plus aucun plaisir de son travail qui, auparavant, lui apportait pourtant l’extase du grand frisson.
Il serra les dents, amer. Tout allait finir. Tout était presque fini, d’ailleurs.
Son seul réconfort était la perspective d’assister au scandale du siècle lorsque le réseau tomberait, libérant dans sa chute son lot d’abominables révélations. L’effroi, la panique, le désespoir de tous ceux dont les noms seraient souillés à jamais, le feu d’artifice médiatique, les multiples déclarations d’innocence mensongères, la cruauté, la mesquinerie humaine exposée aux yeux de tous…
Oui, l’idée qu’il pourrait contempler le monde dévasté par les flammes et la haine, un instant, bien abrité dans son bunker, le consolait un peu.
Mais après ? Que resterait-il ?
Une page wikipédia, avec un peu de chance. Peut-être une bref mention de « l’incident » dans les bouquins d’Histoire. Les gens ne pardonnent pas, mais ils oublient vite. La déflagration de la bombe causerait énormément de dommages, détruirait des vies, certes. Elle ferait du bruit, abasourdirait la foule, déclencherait débats et querelles, arracherait des cris d’épouvante et d’indignation.
Et après ?
Après, ce serait le silence. On passerait à autre chose; les peuples zappent si aisément.
Même l’onde de choc provoquée par la découverte de cette gigantesque toile d’araignée ensanglantée sur laquelle tellement d’hommes s’étaient englués ; toile tissée par un seul homme, génial despote gouvernant le monde du crime, l’unique criminel consultant au monde… même cette horrifiante vérité, fruit de tant d’efforts et de travail, sombrerait dans l’oubli collectif.
Pire encore. Lorsque tout aura volé en éclats, passé la contemplation de ce délicieux spectacle, passé l’amertume de voir leur labeur si vite rangé au placard…. Passé tout cela, lui n’aurait plus rien. Que ferait-il ? Tout lui semblerait maintenant creux, fade, vide, insignifiant !
Il ferma son ordinateur portable, coupant abruptement une conversation avec un sans doute ex-futur-client. Ses mains tremblaient, il avait besoin d’air et il sentait qu’il ne ferait plus rien d’efficace ce soir. C’était rageant, ce sentiment de faiblesse. Il ferma les yeux et inspira profondément, essayant de le chasser. Mais il était tenace et il revenait souvent le hanter, ces derniers temps.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’était absolument pas résolu à mettre fin à ses jours, loin de là. Quelle lâcheté ce serait. D’ailleurs, il ne ressentait pas de désespoir, ce sentiment détestable qui peut faire penser au plus courageux des soldats qu’il n’a plus sa place sur terre.
Sebastian n’avait pas perdu sa place, ce qui était logique puisqu’il n’en avait jamais eu. Un homme comme lui n’était pas calibré pour entrer dans les petites cases exiguës de cette planète. Il était hors-norme, trop différent, recherchant sans scrupule ce que l’univers aseptisé des hommes
« normaux » refusait de lui offrir au nom de son sacro-saint vernis de civilisation.
Sebastian avait perdu son monde. Le désespoir ne le rongeait pas, il n’avait jamais perdu son temps à espérer quoi que ce soit. En revanche, il avait très souvent l’impression d’être habité par le vide.
« Le vide n’existe pas, cher Sebastian, pas tel que nous le concevons, en tout cas »Il enfila son manteau et sortit. Une idée lui était venue. Il y avait bien quelque chose qu’il pouvait faire ce soir, quelque chose qui lui permettrait d’échapper à l’Infini terrible, de le fuir comme on se sauve devant un fauve. Ah, quelle ironie, le chasseur traqué par lui-même. Seule solution pour échapper à cet étrange paradoxe : talonner une autre proie.
Sherlock Holmes remplissait admirablement le vide. La seule évocation de ce nom faisait naître sur son visage une expression de dégoût et de fureur terrifiante à regarder.
Le détective remplaçait bien malgré lui l’oppressant néant par la plus violente des haines. Or, s’il était incapable de supporter le vide, Moran savait comment gérer la haine et l’utiliser à bon escient.
Il avait retrouvé Irène Adler. Elle le mènerait à Holmes, de son plein gré, de préférence.
Et puis, ça lui ferait une compagnie amusante pour ce soir, il n’avait pas le cœur à jouer aux cartes. D’une pierre deux coups.
Peut-être était-ce son jour de chance, car l’ancienne chanteuse fumait sur le seuil de sa librairie, visiblement perdue dans ses pensées. Sa silhouette se découpait dans l’encadrement de la porte. Avait-elle été toujours si frêle ? Il sourit à lui-même : il l’avait prévenu, lors de leur dernière rencontre, la fuite aurait raison d’elle, tôt ou tard. Il s’approcha à pas de loups, et réussit à la surprendre. Visiblement, la jeune femme, car elle l’était encore, malgré ses traits tirés et ses paupières déjà si lourdes, avait perdu quelques uns de ses plus fameux réflexes.
Ils échangèrent à peine un regard et elle entra de nouveau dans son domaine. Il n’attendit pas qu’elle lui ordonne d’entrer pour la suivre, entre eux, pas de manières, ils avaient dépassés ce stade là depuis longtemps. Il se sentait comme Ulysse entrant chez Circé, sûr de lui bien qu'il n’avait pas, en réalité, le cœur à jouer. Il n’était plus le même homme. Toutefois, il ne fallait surtout pas qu’elle le remarque, s’il voulait être assuré d’avoir des nouvelles de ce bon vieux détective consultant. Il fallait impérativement qu’elle pense maîtriser la situation pour tirer quelque chose d’elle. Jamais plus il ne commettrait l’erreur d’espérer lui infliger une quelconque frousse, il avait beaucoup appris de leur premier rendez-vous.
Il tira sur l’épingle qui retenait ses cheveux. La coiffure était étrangement brouillonne, vite réalisée, sans aucun soin. Il haussa un sourcil, observant ses cheveux tomber sur sa nuque. Ca ne ressemblait guère à du Adler, tant de laisser-aller.
Peut-être qu’elle non plus n’était plus la même femme.
« Cette fois, c’est vous qui m’offrez le café. Vous avez un endroit un peu tranquille, dans ce foutoir ? On doit parler, tous les deux. » Elle lui tournait toujours le dos, silencieuse. Il se pencha vers elle, posant ses deux mains gantées sur ses épaules, et murmura, imitant ce ton plein de mystère, toujours rehaussé par une note d’espièglerie enfantine qui rendait le tout sinistre. Sans qu’il ne s’en rende compte, il avait même reproduit à la perfection l’expression d’amusée et cruelle qui illuminait
son visage à chaque fois qu’il employait cette tonalité de voix.
« De Sherlock Holmes. »