Il faisait beau. La jeune femme trouvait cela agaçant et irritant et, assise derrière le comptoir de l'affreuse boutique dans laquelle elle travaillait, elle ne pouvait s'empêcher de froncer les sourcils dès qu'elle apercevait quelqu'un passer en t-shirt. Chris n'aimait pas le soleil, c'était un fait. D'ordinaire, elle n'avait pas y être confrontée mais Londres semblait bien capricieuse ces temps-ci. Trop capricieuse à son goût. Elle préférait nettement le cortège de parapluies dansant et trench-coat aux couleurs sombres qu'elle pouvait avoir sous les yeux dès que les larmes d'un dieu invisible s'abattaient sur la belle citée. Son raisonnement était très enfantin mais le soleil la rendait nerveuse, lui donnait mal à la tête et lui donnait envie de se terrer dans un trou. Et aussi mais surtout, pas de soleil à l'horizon signifiait l'absence totale de voix dans sa tête …

Elles étaient les premières à fuir face aux rayons de l'astre doré, comme si lui seul avait le pouvoir d'apporter le silence sous son occipital. La jeune brune n'aimait pas le silence, elle le trouvait d'une beauté fatale et effrayante. Seule avec sa raison … Enfin si Chris en possédait encore une. Si Chris en possédait encore une sous ses mèches brunes et ses vêtements droits qui ne cadraient pas du tout avec son travail. Quoi que … Son pervers de patron trouvait qu'elle avait l'air d'une secrétaire … Quoi de mieux derrière le comptoir d'un sex shop … Chris le trouvait dégoûtant et espérait qu'il finisse par mourir à cause d'un taux de cholestérol trop important, elle le voyait bien en train de se noyer dans sa propre graisse. Cette image la fit sourire et les quelques clients qui se trouvaient là lui jetèrent un regard intrigué. Chris était plutôt connue pour être discrète et surtout, parce qu'elle ne faisait aucun commentaire en voyant les articles défiler sous ses yeux. Elle était là pour faire son job voilà tout … Cela ne changerait en rien son opinion sur les hommes en général, ils étaient tous pourris jusqu'à la moelle. Il y en avait bien un de temps en temps qui tentait de l'inviter mais ils finissaient toujours par être refroidi par son air impassible. C'était Chris.

Et Chris avait toujours cet air neutre sur le visage en quittant son travail à dix huit heures précise. Hors de question de rester derrière le comptoir à la tombée du jour, il s'y passait des choses que même elle ne désirait pas connaître. Elle se retrouva donc à errer dans les rues de Soho, regardant le soleil s'éteindre peu à peu. Comme à son habitude, elle monta dans une rame de métro au hasard et fut séduite par le nom d'un arrêt et elle y descendit. Elle marchait sans but précis dans Londres … Sans but précis, vraiment ? Chris chercha de l'agitation, elle ne voulait pas être laissée seule avec ses macabres pensées. Elle voulait du bruit autour d'elle, elle voulait une distraction. Elle voulait une distraction pour ne pas se mettre à repenser à des choses qu'elle avait rangé au fond d'une boite, et qu'elle avait repoussé le plus loin possible d'elle. Le pire dans tout ça, c'était qu'elle détenait la clé. Elle détenait la clé et il était très facile de céder à la tentation. De se jeter sur la boite et de se laisser envahir par des souvenirs. Mais Chris ne désirait en rien se souvenir, entre la rédemption et le déni … La brune choisissait sans problème le déni.

"Bienvenue à la National Gallery."

Chris ouvrit les yeux, réalisant où ses pas l'avaient menée. Elle était en train de suivre un groupe de touristes japonais plutôt bruyants et … Et la voilà qui était perdue dans un musée. Là où le silence se devait de régner. La brune s'apprêtait à faire demi tour mais ses yeux se posèrent sur un tableau. La jeune femme s'en approcha, assez fascinée en fait. C'était bête, ce tableau n'avait rien d'extraordinaire mais elle avait l'impression que l'autre femme représentée la fixait elle. Chris ne savait plus trop quoi penser, devait-elle se déclarer complètement folle ou bien est-ce qu'une peinture du dix septième siècle était bien en train de chuchoter à son oreille. Et un autre sourire apparut sur le visage de Chris. Pourquoi ? On était bien en train de chuchoter à son oreille, et c'était bien le tableau qui lui parlait. Je sais ce que tu as fait petite … Oh vraiment ? Chris devait savoir tout ce que cette sorcière-là savait, elle devait. Il fallait qu'elle arrache le tableau, le subtilise et le ramène chez elle pour tenter de retrouver un sens à son existence … Il le fallait. Aussi, se sentant parfaitement éveillé et sortant de sa torpeur habituelle, Chris entreprit de décrocher le tableau.
Démente ? Complètement.