Nina n’est pas forcément le genre de filles qui arrête un homme d’un regard. Non, elle n’est qu’une silhouette parmi tant d’autres, une douce anonyme de plus comme les trente autres jolies filles que vous aurez déjà vues passer le long de cette rue : ne manquant sans doute pas de caractère mais restant assez commune.

Ce n’est pas tant qu’elle est laide notre chère Nina, à vrai dire, elle est mignonne et ne manque pas de charme. De taille moyenne, de longues jambes et plutôt bien proportionnée, elle serait même assez agréable à l’œil masculin. Toutefois, ce n’est pas par ses tenues pastelles, beiges ou noires que vous allez la remarquez. Elle préfère à la mode un certain confort et une sobriété qui correspondent bien à son air tranquille et à sa démarche. Une femme habillée avec classe ne vous ferait-elle pas rire si elle avançait le dos vouté en balançant les hanches? Et bien Nina n’a pas ce problème : elle évolue avec confiance, les épaules droites, le front haut mais garde une certaine réserve. Admirez son sourire léger et un peu hésitant, pour peu que sa journée n’ait pas été trop difficile, la chaleur de son regard, la lenteur de ses pas. Elle n’avance pas en conquérante : Nina ne fait qu’évoluer dans un monde où elle est à sa place, où elle a déjà fait ses preuves. Bref, elle n’a certainement pas la démarche chaloupée d’un modèle.

Quant à son visage, il est assez fin : un nez bien droit entouré de deux grands yeux en amandes. Son regard noisette? C’est sans doute son atout majeur. Loin d’être sulfureux, il dégage une chaleur, une douceur de vivre et une grande tendresse. Le genre qui vous fait chaud au cœur, pour peu que vous ayez pris la peine de regarder cette femme anonyme.
Cette aura de douceur, Nina la complète en attachant ses jolies boucles brunes en un chignon pratique, même si à vrai dire, la raison de cette coiffure n’a rien de bien romantique.

Après tout, pour un médecin légiste, il est essentiel d’avoir le visage dégagé. Simple question d’hygiène, après tout, il serait assez gênant et très peu professionnel de laisser trainer ses cheveux dans les plaies d’un cadavre. Ce n’est certainement pas pour rien que ce genre de médecin opère avec des gants franchement!

Nina n’a certainement pas le caractère enflammé de son frère. Quand ce dernier explose, à l’image du Vésuve, Nina reste posée, un brin moqueuse. Quelle est loin l’image de la mama italienne qui impose son opinion à force de cris et de gestes. Non, Nina est bien plus posée, bien plus douce.

N’est-ce pas d’ailleurs cette douceur qui a attiré Noah, son dernier compagnon en date, cette fraicheur de vivre qui, alliée à son immense tendresse et sa loyauté, fait d’elle une femme des plus agréables? Ou bien serait-ce l’esprit vif de cette italienne amusée par la vie, par l’agitation de Londres?
C’est qu’elle en a du charme la demoiselle, et elle compte bien l’utiliser! Sans doute un reste de son héritage rital. Non pas qu’elle s’en plaigne d’ailleurs!

Un bon brin de fille son père disait! Mais vu la partialité de ce dernier envers ces deux gamines, sans doute ne fallait-il pas prendre ces mots pour argent comptant…

Devant un tel portrait, on pourrait imaginer facilement cette belle italienne dans une école, cherchant à transmettre à la dernière génération d’adolescents blasés les mystères de la littérature. Ou bien serveuse dans un bar à la mode où les clients les moins discrets pourront reluquer la chair dépassant de l’uniforme.
Mais non, choisissant de braver les clichés, Nina est devenue médecin légiste. Ce choix avait étonné bien des personnes. A vrai dire, seule sa mère avait su éviter la face de hareng desséché le soir où la jeune femme avait annoncé sa profession. Échangeant un sourire entendu avec sa fille, elle s’était bien gardée d’expliquer ce qui se tramait dans le cœur de Nina.

Et pourtant quelle évidence! Depuis toute petite, elle entendait son père leur enseigner l’importance de la famille, du respect qu’on lui devait et de l’honnêteté envers les siens, et bien qu’elle y adhérait entièrement, elle suspectait les hommes de sa famille d’en profiter pour la couver. Il fallait alors accepter leur protection tout en priant qu’il ne leur arriverait rien. Parce que le père, le frère ou même l’époux ne veut pas être protégé. C’est un homme, il mène sa barque seul quand sa famille anxieuse l’attend tard dans la nuit.
Alors Nina voulu se défaire de cette vie là, d’attente et de tourments. De fille de parrain, elle devint une femme ambitieuse et entière, se voulant l’égale d’un homme. Elle étudia la médecine parce qu’elle le pouvait et puis travailla dans la police pour s’affranchir de son rôle. Elle agit par défi, se testant, cherchant à surmonter ses faiblesses, à devenir meilleure… A se montrer digne de sa descendance, quand bien même ses choix la menaient loin de la pègre.

La fierté n’a décidément pas épargné la cadette de la famille!

Et c’est là le paradoxe de Nina.

Elle a beau fuir l’ombre de son père, elle accourt auprès de son aîné. Elle cherche sa voie et se mêle des affaires de son frère. Elle aime la vie, chérit son monde et travaille pourtant chez les morts.
Quant aux hommes… parlons en des hommes!

Les amants de la belle sont semblables en bien des points : un peu perdus, un peu trop simples, un peu trop purs sans doute. Des hommes qu’elle éblouie, des hommes qui ne risquent pas de la contraindre à l’attente, qui la traiteront au moins comme leur égal. Elle n’en a pas conscience Nina, elle les a aimés ces garçons, mais finalement, n‘était-ce pas leur faiblesse qui l’ont attirée? L’assurance de son indépendance?
Elle ne veut pas revivre le fardeau vécu par sa mère, elle ne peut le gérer. Si elle n’a pas le contrôle de la situation, Nina perd ses moyens, panique et se tourmente. Devant cette faiblesse, son amour est bien peu de chose. Il était alors évident qu'elle allait quitter Noah, pauvre garçon…

De toute façon, elle a déjà suffisamment à faire avec Thomas, elle n’a pas besoin de plus de soucis.

L’histoire de Nina a commencé comme tant d’autres, une famille aimante, une petite fille pleine de promesses… Son futur ne semblait rien n’avoir de particulier, elle grandirait, rencontrerait l’âme sœur, se marierait et deviendrait une femme au foyer ou employée dans une petite entreprise. Elle serait heureuse ainsi et ferait la fierté de sa famille et de sa patrie : la grande Amérique…

Mais le destin avait d’autres ambitions pour Nina. Tout d’abord, loin d’être cette parfaite petite américaine, catégorie WASP garantie élevage en banlieue chic, quelques origines plus méditerranéennes coulaient dans les veines de la demoiselle et non pas des moindres! Voyez-vous, Nina descend d’une grande famille mafieuse et son père n’avait guère intérêt à se fondre dans la masse.
Au contraire, la demoiselle a appris à chérir cette culture qu’elle ne partageait pas avec ses camarades, ce qui, comme on pouvait se l’attendre, ne l’aida pas vraiment à s’intégrer.

Pouvait-on s’étonner que la fillette préféra de loin la compagnie de son frère aîné à celle des petites américaines de sa classe? N’était-ce pas le lot des plus jeunes de regarder le plus âgé les yeux pleins d’admiration? De s’accrocher à leurs basques jusqu’à ce que le plus grand envoie sa groupie sur la Lune par un coup de pied bien placé?

Thomas avait beau être un grand frère exemplaire, un beau jour, lassé d’être poursuivi par une petite sœur un peu trop seule, lassé d’être réprimandé par ce brin de fille aux yeux trop grands, n’avait pas retenu ses coups. Les deux Neil s’étaient battus sans retenue, l’une griffant, le deuxième ripostant avec deux fois plus de force. Bilan des dégâts : une lèvre fendue, une belle jupe déchirée et un beau cocard du coté de la demoiselle. Bref, une simple bagarre avec son frère, rien de bien grave, rien d’anormal.
Mais si les joutes fraternelles formaient la jeunesse et le caractère, elles n’étaient pas au goût du paternel. Bien vite, trop vite pour Nina, Thomas du apprendre l’importance de la famille, le respect qu’il lui devait, et surtout qu’une petite sœur était un être fragile qu’il se devait de protéger.
Au début, la petite Nina avait trouvé ça super. Plus de moqueries, son frère était devenu très gentil avec elle… Un beau rêve n’est-ce pas?
Alors pourquoi diable cela lui manquait-il? Pourquoi préférait-elle cette époque où elle n’était qu’une petite sœur un peu trop collante plutôt qu’une demoiselle à absolument protéger?

Finies les bagarres rituelles, finie cette relation si particulière que partageaient un frère et sa sœur. Thomas était devenu l’héritier de la cosca, il passait son temps avec lui, leur père qui régnait en main de maître sur la famille, et Nina n’était plus que la petite dernière, celle qu’il ne fallait pas brusquer.
Aux hommes le danger, aux filles le confort, la vie de famille! Voilà qui ne flattait guère sa fierté d’italienne.

Le temps passa et la famille Neil déménagea. Au revoir Amérique, bonjour Angleterre, mais au fond, était-ce important?

Nina profita de l’occasion et se fit de nouvelles amies, Nina prit ses distances. Nina devint une adolescente indépendante, moderne et cultivée.
Et Nina découvrit qu’elle pouvait briller par elle-même. Elle pouvait désormais se débrouiller par elle-même sans compter sur son ‘Brother Hen’ , un titre dont il avait eu le malheur d’hériter après avoir terrorisé un de ses petits amis.

Toujours plus loin, toujours… toujours.

Ce n’était pas par philanthropie que Nina avait choisi la voie de la médecine. Non. Elle était intelligente, c’était une voix difficile, le choix lui avait semblé évident.
Son entourage, trompé par sa gentillesse et sa douceur, l’avait plutôt imaginée pédiatre, s’occupant d‘un petit garçon atteint d‘une lourde maladie. Aussi, que d’incompréhension devant ce souhait de devenir médecin légiste. Seule sa mère l’avait compris ce choix qui aurait pu déchirer leur famille.
Que lui était-il passé par la tête? Si elle n’avait pas eu à suivre les traces de son père, elle n’en restait pas moins la fille d’un parrain de la mafia!

Mais si le choix de médecin n’avait rien de personnel, elle avait un intérêt tout particulier à travailler avec la police. Elle ne pouvait peut-être pas veiller sur son frère, elle ne pouvait pas non plus le détourner du crime, soit, pour autant, s’il parvenait à se faire descendre, elle voulait être la première à le savoir!
Une drôle de motivation sans doute, mais qui lui convenait parfaitement.

Les jours se succédèrent et Nina poursuivait tranquillement son chemin. Elle fit la connaissance de Molly, une de ses collègues qu’elle appréciait beaucoup malgré son goût douteux pour les hommes. Elle rencontra elle-même plusieurs garçons, tous aussi paumés les uns que les autres. Certains la quittèrent, d’autres eurent le cœur brisé mais généralement, ils se quittèrent en bons termes. Elle avait beau les avoir appréciés, voire aimés, ils n’avaient pas pour autant marqué la belle Nina qui avait continué son chemin, seule, sans autre attache que les siens…

Et puis elle avait rencontré Noah. C’est qu’il l’avait intrigué ce garçon qui écoutait Beethoven dans le métro londonien. Il avait un regard d’enfant perdu, perturbant mais tellement attachant. Il était plus jeune qu’elle, mais elle l’avait aimé et logiquement, s’était installée avec lui. Peut-être était-ce le bon? Elle l’espérait du fond du cœur.

Malheureusement, rien n’était aussi facile. Bien vite, Nina s’aperçut des absences de son petit ami, de ses mensonges. Elle n’était pas assez stupide pour croire à une mystérieuse maîtresse, mais elle avait reconnu ce comportement. Noah lui cachait quelque chose d’important, de vital et elle ne pouvait plus lui faire confiance. C’était trop douloureux. Elle ne voulait pas être comme sa mère, incapable de contrôler pleinement sa vie, tourmentée par l’angoisse de perdre un être trop cher. Alors elle l’avait quitté, aussi simplement que ça. Elle l’avait mis à la porte, retournant à sa vie d’antan, ou du moins essayant, car Noah si jeune et si simple avait réussi la où tant avaient échoué : il avait marqué à jamais Nina.

Pourquoi cette conversation lui tournait dans la tête? Ironie quand tu nous tiens… Ah cette chère Dame Ironie, si jamais elle pouvait l’attraper, elle lui démonterait les cervicales, lui arracherait les dents, la pendrait, la démembrerait… Enfin bref, elle lui ferait quelque chose et ça ne serait pas joyeux! La raison de cette haine féroce était bien simple : il était trois heure du matin, Noah avait encore disparu et Nina ne pouvait s’empêcher de penser aux mises en gardes qu’elle avait adressées à Molly contre l’infâme Sherlock. Elle avait voulu faire sa maligne, jouer les femmes expérimentées… mais au final, valait-elle mieux que sa pauvre collègue?
Elle en avait désormais la preuve : Noah, son cher Noah, ce brave garçon qui n’aurait jamais du faire de mal à une mouche, lui mentait. Encore.

Et c’était pour cette raison que Nina était attablée autour d’un thé, désespérant de pouvoir s’endormir. Elle avait beau essayé, se battre avec sa couette, mordre son oreiller de frustration : elle ne pouvait pas ignorer l’absence du garçon. Ce n’était même pas la première fois que ça lui arrivait et rien qu’à cette pensée, un goût amer lui vint à la gorge. Un goût que même une bonne tasse de thé ne pouvait camoufler. N’était-elle pas pathétique? Fallait-il que les mots de Molly lui fassent comprendre qu’elle était tombée dans ce piège qu’elle avait tant cherché à éviter? Bien entendu, cette conversation n’avait rien à voir avec Noah, il avait alors été question du béguin malheureux de son amie, pas de son petit-ami actuel. N’empêche qu’ils avaient le mérite de souligner son problème.

« Je ne peux plus avoir confiance en Noah … »

Voilà, elle l’avait dit, ou du moins, elle l’avait murmuré, mais quelle importance? L’essentielle était là : elle ne pouvait plus faire marche arrière.

Perdue dans ses réflexions, ses doigts caressant légèrement la tasse, elle soupira, dépitée. Pourquoi Noah ne pouvait-il pas être le bon? Bon sang pourquoi? Pourquoi y avait-il toujours un truc qui clochait avec les hommes?

Bien vite, le chagrin laissa place à la colère. Après tout, ce n’était pas juste… Elle avait elle aussi le droit au bonheur! Elle l’aimait ce garçon!

Emportée par son élan, Nina renversa la tasse, lâchant un juron. Ça ne lui ressemblait pas pourtant de s’emporter pour un homme. Ouai… Comme ça ne lui ressemblait pas non plus d’attendre avec angoisse le retour d’un être aimé.
A ce rythme, Nina allait devenir comme sa mère, rongée par l’angoisse, rongée par la peine. Et ça, elle ne pouvait pas l’accepter!

Ramassant les débris de la tasse, elle prit une décision simple mais terrible. Demain... il fallait que ce soit demain. Elle ne devait pas laisser ce genre de choses trainer davantage.

Et glissant dans ses draps, une douleur au niveau de la poitrine, les pensées de Nina tournoyaient dans son esprit :

« Demain je dois quitter Noah. »